Mise à l’herbe et parasites intestinaux : quelles sont les nouvelles recommandations ?

Chez les bovins ayant accès au pâturage, la lutte contre les strongles gastrointestinaux (Ostertagia ostertagi en particulier) repose essentiellement sur les vermifuges, appelés aussi anthelmintiques. Mais leur mauvais usage peut présenter des risques pour les animaux et pour l’environnement.

Pour pérenniser l’emploi des traitements antiparasitaires il est donc nécessaire de rationaliser leur utilisation, par exemple en ciblant les périodes à risque et les animaux à traiter.

Dessins vectoriels de vaches

Les bovins, naturellement programmés pour développer une immunité contre les strongles !

Tous les bovins qui pâturent sont susceptibles d’être infestés par les strongles. Mais au contact prolongé de ces parasites, les ruminants acquièrent progressivement une immunité qui les protège à terme, en faisant diminuer fortement le taux d’installation des strongles [1]. L’immunité instaure donc un équilibre entre l’hôte (le bovin) et les parasites [2].

Chez les jeunes non immunisés, l’infestation parasitaire peut engendrer des retards de croissance, voire des atteintes cliniques parfois graves lorsque les charges parasitaires sont élevées [3]. Chez les adultes insuffisamment immunisés, l’expression clinique est très rare mais l’infestation peut aussi induire des baisses de production [4, 5, 6].

Une immunité retardée chez les jeunes bovins trop traités

Les mesures de contrôle de l’infestation reposent essentiellement, et parfois exclusivement, sur l’utilisation des traitements qui éliminent les parasites et préviennent des ré-infestations lorsqu’ils sont rémanents (longue durée) ou trop fréquents. Trois familles de molécules actives contre les strongles peuvent être utilisées : les benzimidazoles, le lévamisole, et les lactones macrocycliques (avermectines et milbémycines).

Pour se défendre efficacement et de manière naturelle, le contact des jeunes bovins avec les strongles est nécessaire. Le développement d’une immunité efficace dépend du temps de contact (durée d’exposition aux parasites) et de l’intensité de ce contact (charge parasitaire) [2]. L’usage de traitement longue durée, ou de dispositif libérant en continu une molécule antiparasitaire, réduit la durée et la quantité du contact entre les parasites et l’animal.

Une utilisation importante de ce type de traitements antiparasitaires chez les génisses de première saison de pâturage va ainsi conduire à un retard dans l’acquisition de l’immunité et donc à l’augmentation des traitements nécessaires chez ces mêmes génisses en deuxième saison de pâture, voire chez les adultes [7].

Chez les génisses, l’utilisation des antiparasitaires doit donc être raisonnée, en recherchant le contact avec les parasites pour favoriser le développement de l’immunité, tout en maintenant des charges parasitaires à un niveau suffisamment bas pour éviter les conséquences zootechniques et cliniques de l’infestation.

Apparition de résistances des parasites aux anthelminthiques

Depuis plusieurs années, l’efficacité de certains traitements antiparasitaires baisse. Des résistances aux antiparasitaires sont signalées. Leur apparition est liée à de mauvaises pratiques et/ou à de mauvaises utilisations des traitements :

  • L’utilisation fréquente et systématique de molécules antiparasitaires de la même famille entraîne une sélection sur les parasites et tend à favoriser l’émergence de populations de vers résistants. C’est particulièrement le cas lorsque des antiparasitaires longue action sont utilisés [8].
  • Le sous-dosage est également un facteur de risque d’apparition des résistances. Il peut être fréquent chez les bovins en raison d’une estimation difficile du poids, ou d’une utilisation fréquente de molécules rémanentes dont la concentration diminue au cours du temps [8], ou encore d’une utilisation fréquente de « pour-on ». Ces formulations déposées sur le dos favorisent une diffusion de la molécule vers les animaux non traités, par léchage, à des sous-doses favorisant la sélection de vers résistants [9].
  • L’absence de conservation de populations refuges de parasites augmente également le risque d’apparition de strongles résistants aux antiparasitaires. Un refuge est une part de parasites non soumise à l’antiparasitaire lors d’un traitement. Ces populations refuges permettent de maintenir des gènes de sensibilité dans la population globale de parasites et de diluer les gènes de résistance aux antiparasitaires [10, 14]. Ce refuge est d’autant plus réduit que le traitement concerne l’ensemble des animaux et qu’il est administré à des périodes de faible infestation des parcelles (sortie d’hiver, sècheresse, passage sur une nouvelle parcelle…). Ces pratiques de traitement généralisés sont pourtant très fréquentes.

Le nombre de molécules antiparasitaires étant limité et les délais de recherche et développement très longs, il est illusoire d’envisager de répondre rapidement et efficacement à l’apparition des résistances avec l’utilisation de nouvelles molécules ayant un mode d’action différent.

Cette situation doit inciter à la mise en place de méthodes de lutte raisonnées pour prévenir l’apparition des résistances :

  • Cibler les traitements (bonne dose au bon moment sur le bon animal)
  • Préserver une population parasitaire refuge.

Les effets d’une utilisation déraisonnée sur la faune non-cible

Autre écueil de taille d’une utilisation déraisonnée des traitements : les résidus d’antiparasitaires qui finissent dans les matières fécales peuvent affecter des espèces non-ciblées, comme les bousiers.

Les avermectines font partie des molécules les plus toxiques du classement P.B.T. (Persistant, Bioaccumulable, Toxique), notamment pour les organismes coprophages (bousiers) qui participent à la dégradation des bouses [11, 12].

La dégradation et le recyclage des bouses en sont réduits et les zones de refus augmentent.

Bouse de vache dans l'herbe

Les stratégies de traitement ciblé

Fort de ces constats, pour traiter de manière efficace les génisses, sans effets délétères collatéraux, les approches suivantes sont possibles :

  • Bien identifier la période à risque en cours de saison de pâture pour évaluer la date optimale de traitement. Les éléments relatifs à la conduite de pâturage, aux données météorologiques et à l’historique de contact avec les parasites doivent être pris en compte. Pour aider à la décision, des outils informatiques de prédiction existent (Simulateurs du risque parasitaire tel que Parasit’sim).
  • Evaluer le risque 2 à 3 mois après la mise à l’herbe par coproscopie (recherche pour identification des œufs de parasites dans les bouses) et à la rentrée en stabulation par dosage sanguin pour évaluer si un traitement est nécessaire.
  • Intégrer l’utilisation de dispositif à relargage séquentiel à la stratégie antiparasitaire des jeunes bovins naïfs, en première saison de pâturage, pour réguler la dynamique d’infestation.

Les stratégies de traitement dit « sélectif » visant à ne traiter que les seuls animaux qui en ont besoin, en tenant compte de leur GMQ ou d’indicateurs parasitaires spécifiques, sont en cours d’étude et semblent prometteuses. Mais leur mise en œuvre reste à ce jour contraignante [13].

Il est urgent de raisonner l’usage des antiparasitaires si l’on veut que la lutte contre les parasites reste possible et efficace à moyen et long terme. Pour être pertinente la démarche doit être construite de manière collaborative et rigoureuse entre les différents intervenants en élevage (vétérinaires et conseillers techniques), les organismes de recherche et l’industrie pharmaceutique.

Bibliographie

[1] Claerebout E. et al. The effect of different infection levels on acquired resistance to gastrointestinal nematodes in artificially infected cattle. Vet. Parasitol., 1998.

[2] Vercruysse J., Claerebout E. Immunity development against Ostertagia ostertagi and other gastrointestinal nematodes in cattle. Vet. Parasitol., 1997.

[3] Armour J. et al. Observations on ostertagiasis in young cattle over two grazing seasons with special references to plasma pepsinogene levels. Vet. Rec., 1979.

[4] Gross S.J. et al. Anthelminthic treatment of dairy cows and its effect on milk production. Vet. Rec., 1999.

[5] Sanchez J. et al. A meta-analysis of the milk-production response after anthelminthic treatment in naturally infected adult dairy cows. Prev. Vet. Med., 2004.

[6] Charlier J. et al. Gastrointestinal nematode infections in adult dairy cattle: Impact on production, diagnosis and control. Vet. Parasitol., 2009.

[7] Vercruysse J. et al. Effect of chemoprophylaxis on immunity to gastrointestinal nematodes in cattle. Parasitology Today, 1994.

[8] Leathwick D.M., Besier R.B. The management of anthelmintic resistance in grazing ruminants in Australasia-strategies and experiences. Vet. Parasitol., 2014.

[9] Bousquet-Melou A. et al. Licking behaviour induces partial anthelminthic efficacy of ivermectin pour-on» formulation in untreated cattle. Int. J. Parasitol., 2011.

[10] Van Wyk J. et al. Targeted selective treatment for worm management – How do we sell rational programs to farmers? Vet. Parasitol., 2006.

[11] McKellar Q.A. Ecotoxicology and residues of anthelmintics compounds. Vet. Parasitol., 1997.

[12] Lumaret J.P et al. A Review on the Toxicity and Non-Target Effects of Macrocyclic Lactones in Terrestrial and Aquatic Environments. Curr. Pharm. Biotechnol., 2012.

[13] Ravinet N. et al. Enjeux et outils du traitement raisonné contre les strongles gastro-intestinaux chez les bovins et les petits ruminants. INRA Prod. Anim., 2017.

[14] Kenyon F et al. The role of targeted selective treatments in the development of refugia-based approaches to the control of gastrointestinal nematodes of small ruminants. Vet. Parasitol., 2009.

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