Gestion raisonnée des antiparasitaires : témoignage du Dr Laurent Dravigney

Les traitements antiparasitaires perdent de leur efficacité car les parasites deviennent résistants aux molécules disponibles. Ce phénomène peut gravement nuire à la croissance et donc à la carrière laitière des génisses les moins résilientes.

Selon Laurent Dravigney, vétérinaire praticien dans le Cantal et membre de la commission parasitologie de la SNGTV, il est urgent d’agir en utilisant les vermifuges de façon plus raisonnée.

«A CAUSE DES RÉSISTANCES,  IL SE POURRAIT QUE LE VERMI-FUGE HABITUEL DE L’ÉLEVAGE NE SOIT PLUS EFFICACE DANS 10 ANS.»

Vous recommandez d’arrêter les traitements antiparasitaires systématiques sur les bovins. Pour quelles raisons ?

Laurent Dravigney (LD) : Vermifuger systématiquement, y compris quand les animaux n’en ont pas besoin, c’est une perte d’argent.

Mais, ce n’est pas la raison la plus importante. Avec le laboratoire vétérinaire MSD Santé Animale, nous avons conduit une étude avec 17 éleveurs laitiers ou allaitants de notre clientèle [1] qui a révélé une résistance des strongles digestifs aux antiparasitaires.

Nous avons réalisé des coproscopies avant et après le traitement des animaux avec deux familles de molécules différentes : un benzimidazole (oxfendazole) et une avermectine (ivermectine). Nous avons mesuré une perte d’efficacité de l’ivermectine dans 9 troupeaux sur 11 et de l’oxfendazole dans 2 troupeaux sur 11. On retrouvait beaucoup trop d’œufs dans les bouses après traitement par rapport à ce qui était attendu.

Ce qui veut dire que les strongles digestifs développent une résistance aux vermifuges utilisés depuis plusieurs années. Ce phénomène a également été observé dans d’autres régions françaises et dans d’autres pays pâturant, en particulier en Irlande en 2020. Aujourd’hui, ce début de résistance n’entraîne pas de pertes réellement observables chez les bovins.

Mais, la situation pourrait-être plus grave dans une dizaine d’années car la sélection de parasites résistants va s’accélérer, cela peut aller très vite ! Dans 10 ans, il se pourrait que la molécule habituellement utilisée dans le troupeau ne soit plus efficace, comme ce qu’on observe actuellement chez les moutons. L’utilisation systématique des antiparasitaires peut également être un risque pour la biodiversité.

En effet, certaines molécules antiparasitaires à large spectre peuvent présenter une activité contre les insectes et les acariens et éliminent les insectes qui recyclent les bouses et donc contribuent à la bonne santé de la pâture. Cela participe à l’effondrement des populations d’insectes qui entraîne aussi un déclin des populations d’animaux qui s’en nourrissent.

Quelles sont les conséquences de la perte d’efficacité des antiparasitaires pour les éleveurs laitiers ?

LD : Les bovins acquièrent une bonne immunité contre les strongles digestifs. Sur les vaches laitières adultes qui n’ont pas acquis suffisamment d’immunité, on risque généralement d’avoir de faibles pertes de production lai-tière de l’ordre de 1,5 litre par vache et par jour. Ce n’est pas dramatique.

Pour les génisses en première et deuxième année de pâturage, c’est autrement plus grave. Mal vermifugées alors qu’elles en auraient besoin, les génisses peuvent accuser des pertes de croissance importantes et rater leur carrière laitière.

La résistance aux antiparasitaires fait courir un risque économique chez les animaux adultes et un risque clinique chez les jeunes en première année et en deuxième année de pâturage. Aujourd’hui, nous disposons de molécules antiparasitaires intéressantes : il faut juste les utiliser différemment, moins systématiquement, avec parcimonie et de façon plus raisonnée.

41% des éleveurs sont favorables à diminuer leur usage des antiparasitaires.

Qu’entendez-vous par une gestion raisonnée des antiparasitaires ?

LD : L’objectif est de ne pas traiter tous les animaux dans un élevage pour garder des parasites non sensibilisés aux vermifuges et diminuer la pression de sélection des para-sites aux antiparasitaires. Le top serait de ne pas traiter 20 % des génisses : les plus belles, les plus résilientes vis-à-vis des parasites.

La gestion raisonnée n’arrêtera pas le phénomène de résistance. Mais nous pouvons espérer le ralentir en maintenant une population de parasites sans contact avec l’antiparasitaire. L’idéal serait d’individualiser les traitements antiparasitaires à l’animal, c’est-à-dire de ne vermifuger que les animaux qui en ont besoin. En effet, dans un troupeau de bovins, certains animaux sont résilients (moins sensibles) aux parasites.

Par ailleurs, les bovins peuvent acquérir une immunité robuste vis-à-vis des strongles digestifs. D’abord, ils excrètent moins d’œufs puis ne sont plus vulnérables aux prochaines expositions. Les animaux résilients et immunisés n’ont donc pas besoin d’être vermifugés quand on leur fournit une bonne alimentation en énergie, en protéines et en oligo-éléments.

Comment mettre en œuvre une individualisation de la vermifugation ?

LD : On pourrait trier les génisses en les pesant. En suivant leur croissance régulièrement, on pourrait identifier les animaux résilients qui suivent leurs objectifs et ceux qui sont en-dessous et qui ont besoin d’être traités.

Avant de faire le premier traitement sur les génisses, il faudrait idéalement combiner un suivi de croissance et des copros-copies. Des coproscopies deux à trois mois après la sortie des animaux sont utiles, non pour connaître la quantité de parasites internes à l’animal mais pour évaluer le risque de pression parasitaire pour l’avenir.

Sur un bovin, il n’y a pas de corrélation entre le nombre de parasites internes et le nombre d’œufs excrétés. Une coproscopie basse sur une génisse ne signifie pas forcément qu’elle porte peu de parasites. Elle a peut-être beaucoup de parasites mais son système immunitaire les combat et ils émettent peu d’œufs.

Il n’y a pas d’intérêt pour l’avenir à traiter une génisse qui excrète peu de parasites et dont la croissance est à l’objectif. En revanche, je vais conseiller de vermifuger les génisses qui montrent de belles croissances mais qui excrètent beaucoup d‘œufs.

Dans ce cas, l’objectif du traitement est de limiter l’excrétion de parasites dans les parcelles suivantes et, ainsi, de diminuer la pression parasitaire. Je recommande également de traiter les animaux maigres même si la coproscopie est basse car cela peut signifier qu’il y a quand même beaucoup de parasites mais qu’ils ne pondent pas d’œufs.

Lorsque les animaux sont maigres, la probabilité d’un problème parasitaire est forte. Si les éleveurs pesaient leurs génisses tous les deux mois, nous aurions des indications intéressantes pour le traitement sélectif des animaux impactés. Une autre donnée individuelle intéressante, c’est le taux de pepsinogène dans le sang des génisses mesuré à leur rentrée en stabulation.

« SI LES ÉLEVEURS PESAIENT LEURS GÉNISSES TOUS LES DEUX MOIS, NOUS AURIONS DES INDICATIONS INTÉRESSANTES POUR LE TRAITEMENT SÉLECTIF DES ANIMAUX IMPACTÉS »

Qu’est-ce que le pepsinogène et comment son dosage peut-il être utilisé pour gérer les traitements antiparasitaires ?

LD : Le pepsinogène est une molécule du sang dont le dosage est corrélé à la charge parasitaire, plus exactement à Ostertagia, le strongle digestif de la caillette le plus pathogène. Si le niveau de pepsinogène est très bas, il n’y a pas besoin de vermifuger l’animal car il n’y a pas de risque sanitaire dans immédiat ni pour la prochaine mise à l’herbe. Si on laisse un animal très chargé en Ostertagia pendant l’automne, il ne va pas, le plus souvent, y avoir de problème pendant l’hiver car les parasites se mettent en dormance.

En revanche, au printemps suivant, on peut connaître une ostertagiose de type 2 : les parasites sortent massivement des muqueuses où ils sont abrités et causent une diarrhée importante qui peut aboutir à la mort de l’animal.

Les éleveurs qui pèsent leurs génisses laitières sont peu nombreux [2]. Le traitement individualisé est donc difficile à mettre en œuvre.

LD : La mise en œuvre d’une vermifugation individuali-sée sur les génisses est, aujourd’hui, effectivement dif-ficile car nous avons peu de données individuelles. Sur les vaches adultes, les données de production laitière permettent de gérer les traitements antiparasitaires à la vache.

Vermifuger la totalité des vaches à la rentrée à l’étable n’est pas rentable car le gain moyen de production laitière est faible, de l’ordre de 0,3 litre par vache et par jour. En revanche, cibler le vermifuge sur les animaux qui ont moins bien démarré leur lactation que leurs congénères est intéressant. La réponse en production laitière de ces animaux permet de rentabiliser le traitement et on va laisser dans les vaches non traitées une population de parasites qui n’ont pas été sensibilisés par le vermifuge.

Revenons à la vermifugation des génisses. Est-il quand même possible de pratiquer une gestion raisonnée sans données de pesée et de coproscopie individuelles ?

LD : Dans la pratique, nous, vétérinaires, formulons des recommandations simples, applicables sur un groupe d’animaux et adaptées aux différentes conduites d’élevage. Pour s’en sortir, il faut questionner les habitudes de traitement et remettre un peu d’intelligence dans les protocoles.

Ainsi, les traitements des génisses en première année de pâturage ne doivent pas être systématiques et concerner l’ensemble des animaux. Avant d’envisager de traiter, il faut évaluer les risques liés à la gestion du pâturage : la parcelle a-t-elle déjà été pâturée par des génisses en première année de pâture ? Est-ce une zone surpâturée ? Est-ce une prairie de fauche ? Est-ce une prairie également pâturée par les vaches adultes ?

Les éleveurs laitiers sortent souvent les animaux en première année de pâturage dans des parcelles réservées aux génisses. Ce faisant, ils concentrent les parasites dans ces parcelles. Il est préférable de les sortir sur des parcelles qui ont été pâturées par des vaches précédemment.

En effet, une génisse excrète plusieurs centaines d’œufs par gramme de bouse alors qu’une vache adulte immunisée en excrète souvent moins de dix. Il ne faut pas trop compter sur le temps ou sur le froid pour éradiquer les parasites. Des études canadiennes ont montré qu’il y a encore de grandes quantités de parasites après un hiver à -30°C !

Si la gestion du pâturage permet d’éviter que les génisses qui sortent pour la première fois reviennent fréquemment sur les mêmes parcelles, on peut maîtriser le niveau d’infestation. Les cycles des parasites ne vont pas se faire très vite et il n’y aura pas toujours besoin de vermifuger pour redescendre le niveau d’infestation.

Une autre recommandation de bon sens pour la mise à l’herbe est de laisser les animaux se parasiter un peu avant que la charge parasitaire ne devienne trop importante au point d’impacter leur croissance, on leur applique un vermifuge. Il faut que les bovins soient au contact des parasites pour qu’ils s’immunisent.

Accepter un peu de parasites, c’est un mal pour un bien. Ce sont les animaux trop parasités qui posent des problèmes. L’application d’un vermifuge actif dès la mise à l’herbe sur tous les animaux revient d’une part à vouloir tuer les parasites avant même qu’ils en aient mangés et ne ferait que retarder l’acquisition de leur immunité et sélectionner les vers résistants contre lesquels les traitements seraient moins efficaces.

Certaines molécules antiparasitaires posent-elles moins de problème de résistance que d’autres ?

LD : Contrairement à ce qui est souvent fait aujourd’hui, je préconise de traiter avec des molécules qui ciblent précisément les strongles. Les éleveurs utilisent souvent des molécules à spectre large qui traitent également les poux et les gales.

Or, je n’ai jamais vu de pathologies liées aux poux et aux gales pendant le pâturage. Cela ne sert donc à rien selon moi. En revanche, cette pratique va avoir un effet toxique important sur les insectes qui se nourrissent de bouses. Sur les génisses, il vaut mieux utiliser des molécules à spectre étroit (des benzimidazoles ou du lévamisole) qui, en plus, montrent une meilleure efficacité contre les strongles selon les études actuelles.

Le moment du traitement est également important pour limiter les résistances. Contrairement à ce qui est souvent fait, il faut éviter de traiter les animaux quand ils changent de parcelle. Pour quelle raison ? Le traitement va tuer tous les parasites sensibles à la molécule. Dans les animaux, ne vont donc persister que les parasites résistants. En déplaçant les animaux dans une parcelle assainie, l’herbe va donc être contaminée avec ces parasites résistants qui vont devenir dominants.

Pour en savoir plus vous pouvez contacter vetorural@msd.com.

« JE PRÉCONISE DE TRAITER AVEC DES MOLÉCULES QUI CIBLENT PRÉCISÉMENT LES STRONGLES ET NON À LARGE SPECTRE »

Est-il encore possible de freiner le développement des résistances aux antiparasitaires ?

LD : En tant que vétérinaire, nous avons la responsabilité des protocoles que nous prescrivons et les éleveurs ont la responsabilité de la manière dont ils les appliquent. Aujourd’hui, si on constate une perte d’efficacité des molécules d’antiparasitaires, c’est parce qu’on ne les a sans doute pas utilisées à bon escient.

En connaissance de cause, il faut que l’on reprenne la main sur les protocoles de traitements antiparasitaires pour réduire le plus possible les effets indésirables. On devrait les utiliser avec plus de parcimonie et surtout plus de « temps de cerveau » !

Notre chance est que les bovins acquièrent une bonne immunité contre les strongles : nous n’avons donc pas besoin de les traiter systématiquement. La sélection génétique d’animaux résilients pourrait également nous donner un coup de pouce, mais sur ce point, nous avons encore du pain sur la planche !

Bibliographie

[1] Zone de pâturage extensif de semi-montagne (1000 m d’altitude) à faible pression parasitaire.

[2] Seulement 5% des éleveurs XXLait pèsent régulièrement leurs génisses (Source : étude Agrinova – Le Mag XXLait auprès de 150 élevages en janvier 2020).

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