La boiterie : l’atteinte numéro 1 au bien-être des bovins

La boiterie est la première pathologie responsable de la dégradation du bien-être chez les vaches laitières du fait de sa fréquence et de la douleur engendrée[1]. Les douleurs aiguës et surtout chroniques, sont à l’origine de pertes économiques importantes : diminution de la production laitière, perte de poids, fertilité réduite, coûts de traitement et réforme précoce[2,3,4,5].

A plus long terme, et sous l’effet d’un remodelage et d’une sensibilisation des neurones, les épisodes (mêmes brefs) de douleur aiguë, ont tendance à devenir chroniques et plus difficiles à traiter[6]. Les seuils nociceptifs des vaches boiteuses se réduisent, pouvant aller jusqu’à l’hyperalgésie[7]. Enfin, la douleur est de nature à persister dans le temps, même après une prise en charge qui semble optimale.

Dans son étude, Whay démontre ainsi que la douleur sur le site et aux alentours des lésions de la corne du pied (hyperalgésie périphérique primaire et secondaire) a persisté jusqu’à 28 jours après le traitement[8].

Observer les vaches, est-ce suffisant ?

La boiterie est le plus souvent détectée sur la base de l’observation de la démarche de la vache. Cette méthode, simple et peu coûteuse, manque de fiabilité à elle seule. En moyenne, les éleveurs repèrent ainsi seulement 25 à 50% des vaches boiteuses [9, 10]. Notamment parce qu’une vache boite ‘franchement’ seulement à partir du score 3 ou 4.

Grille de notation de la boiterie chez la vache
Guatteo R. Locomotion des ruminants : se mouvoir pour mieux produire. Le Point Vétérinaire. 2015; 2-7

L’étude de Van Huyssteen complète l’idée que l’observation à distance est insuffisante : 80% des vaches présentant une lésion ne boitent pas (encore) et dans l’étude, cela représente en moyenne 20 % des vaches du troupeau laitier [11].

Or, la précocité de la détection et du traitement est déterminante dans la réduction de la prévalence de la maladie et dans la limitation des coûts directs et indirects engendrés [12,13]. Conscients de cela, des éleveurs s’équipent d’outils de monitoring comme le SenseHub® afin de bénéficier d’une aide supplémentaire dans la détection précoce des boiteries.

SenseHub® - Alerte Santé déclenchée le 15 avril : animal réclamant une observation attentive.

Prendre en charge la douleur : une conduite à systématiser !

Le premier réflexe est évidemment de lever le membre boiteux afin de repérer la lésion responsable. Réaliser ensuite un parage fonctionnel puis un parage curatif du pied atteint et enfin un parage fonctionnel du pied controlatéral.

Si le parage fonctionnel a pour but de rétablir l’équilibre optimal des charges dans l’onglon, le parage curatif lui, limite la pénétration des corps étrangers dans la lésion et soulage l’onglon lésé en le mettant au repos.

Pour ces épisodes douloureux du pied, la mise en place d’un plan d’analgésie multimodale est cruciale tant ses bénéfices sont incontestables. Dans certains pays comme la Suisse, il est d’ailleurs obligatoire. En France la prise de conscience est à généraliser. Par exemple, l’éleveur laitier a recours à un AINS dans 9% des cas de boiteries qu’il observe et dans 11% en allaitant [14].

Par ailleurs, les AINS sont rarement administrés avant le parage curatif et les anesthésiques locaux ne sont quasiment jamais utilisés en France. Selon Becker, les raisons pour lesquelles les analgésiques sont peu employés sur le terrain sont : « le manque de temps, le manque de formation, l’expression de la douleur par les vaches difficilement reconnaissable par l’Homme, le manque de volonté de l’intervenant à évaluer le niveau de douleur, le coût des analgésiques, et les temps d’attente pour le lait » [15].

La gestion de la douleur lors du parage curatif n’est pas seulement une obligation éthique, elle permet aussi un parage dans de meilleures conditions (moins de défécations, de mictions) et une récupération plus rapide de la vache si la prise en charge a été précoce. Bien qu’elle soit contraignante, l’anesthésie locale a toute sa place dans le cas d’un parage touchant le pododerme.

A terme (et comme pour l’écornage), l’anesthésie locale deviendra une recommandation forte. Quant à l’administration d’un anti-inflammatoire sur une vache boiteuse, elle devrait être réalisée systématiquement durant, voire avant le parage. Dans ce cas l’utilisation d’un AINS ayant une arrivée rapide sur le site inflammatoire sera si possible à privilégier.

Et le renouvellement de la prescription d’AINS est à évaluer par le vétérinaire, car la douleur après un parage curatif délabrant est susceptible de persister longtemps après l’intervention [16].

Dans le cas de la pose d’une talonnette pour soulager l’onglon lésé, une étude a démontré que l’emploi d’un AINS accélérait le rétablissement de la vache : 56% de disparition de la boiterie à J35 avec talonnette + AINS versus 36% avec utilisation de la talonnette uniquement [17].

De nombreuses études concourent à confirmer l’incontestable bénéfice de la prise en charge multimodale de la boiterie (parage, AINS, anesthésiques locaux, talonnette, etc.).

Prévenir les boiteries, c’est améliorer le bien-être

Une fois les objectifs clairement établis avec l’éleveur, plusieurs mesures sont à envisager :

  1. Le parage préventif régulier. Il ne concerne pas uniquement les vaches boiteuses, à l’inverse du parage curatif. Chaque animal dans le troupeau devrait avoir ses pieds levés, inspectés et si nécessaire parés au moins une fois par an. Dans certains troupeaux un passage tous les mois s’impose, comme pour le suivi de reproduction. Ce parage permet de dépister très précocement les vaches non boiteuses mais avec lésions et de rétablir régulièrement les aplombs pour prévenir les atteintes non infectieuses du pied.
  2. L’aménagement du bâtiment afin d’optimiser le confort des vaches : la taille, le confort et la configuration des logettes ; le nombre de place au cornadis ; la présence d’une aire paillée en début de lactation, etc.
  3. La ration. Son équilibre est à surveiller, notamment l’apport d’oligo-éléments essentiels comme le zinc ou le cuivre.
  4. La formation continue des différents intervenants dans l’élevage, avec la mise en place d’arbres décisionnels par exemple.
  5. La gestion collective des maladies infectieuses. Elle passe par le nettoyage fréquent des pieds (une fois par jour) ainsi que leur désinfection si nécessaire.

Bibliographie

[1] Whay et al., 2017, The impact of lameness on welfare of the dairy cow. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract., 33, pp. 153-164
[2] Green et al., 2002, The impact of clinical lameness on the milkyield of dairy cows. J. Dairy Sci. 85:2250–2256
[3] Hernandez et al., 2002, Effect of lameness on milk yield in dairy cows. J. Am. Vet. Med. Assoc.220:640–644
[4] Booth et al., 2004, Effect of lameness on culling in dairy cows.J. Dairy Sci. 87:4115–4122
[5] Garbarino et al., 2004, Effect of lameness on ovarian activity inpostpartum Holstein cows. J. Dairy Sci. 87:4123–4131
[6] Anderson et al., 2005, Pain management in cattle. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract., 21, pp. 623-635
[7] Coetzee et al., 2017, An update on the assessment and management of pain associated with lameness in cattle. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract., 33, pp. 389-411
[8] Whay et al., 1998, Assessment of the welfare of dairy cattle using animal-based measurements: Direct observations and investigation of farm re-cords. Vet. Rec. 153:197–202

[9] Wells et al., 1993, Prevalence and severity of lameness in lactating dairy cows in a sample of Minnesota and Wisconsin herds. J.Am.Vet.Med.Assoc.202:78–82
[10] Whay et al., 2003, Assessment of the welfare of dairy cattle using animal-based measurements: Direct observations and investigation of farm re-cords. Vet. Rec. 153:197–202
[11] Van Huyssteen et al., 2019, Association between lameness risk assessment and lameness and foot lesion prevalence on dairy farms in Alberta, Canada J. Dairy Sci. 103:11750–11761
[12] Clarkson et al., 1996, Incidence and prevalence of lameness indairy cattle. Vet. Rec. 138 :563–567

[13] Nordlund et al., 2004, Investigation strategies for laminitis problem herds. J. Dairy Sci. 87 (E. Sup-pl.) : E27–E35
[14] Mory, 2017 – Etude ADquation sur les boiteries bovines auprès de 251 éleveurs d’au moins 60 bovins laitiers ou allaitants
[15] Becker et al., 2014, Factors influencing the attitudes of cattle veterinarians, farmers, and claw trimmers towards the pain associated with the treatment of sole ulcers and the sensitivity to pain of dairy cows. Vet. J. 200:38–43
[16] Stoddard et Cramer, 2017, A review of the relationship between hoof trimming and dairy cattle welfare. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract., 33, pp. 365-375
[17] Thomas, 2015, Evaluation of treatments for claw horn lesions in dairy cows in a randomized controlled trial. J Dairy Sci. 2015;98(7):4477–4486. doi: 10.3168/jds.2014-8982

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